Ultracyclisme : la Pan Celtic Race en Bretagne

· sport

De tout temps, la Bretagne a été une terre propice au vélo, aussi bien dans son usage quotidien que dans la pratique sportive. En 2023, elle accueille pour la première fois la Pan Celtic Race, l’une des courses d’ultracyclisme les plus emblématiques d’Europe. En quoi consiste ce genre de compétition, où endurance et autonomie priment ?

broken image

Naissance et développement du sport cycliste

Dans les années 1860, Pierre Michaux développe et met en production la première bicyclette destinée au grand public, qui devient vite populaire. Au gré des évolutions et des améliorations techniques, la pratique sportive se développe. Partout en Europe, et en Bretagne plus particulièrement, des manifestations d’envergure s'organisent dans les territoires urbains et ruraux. La première course longue distance voit le jour en 1891 : le Paris - Brest - Paris. Charles Terront parcourt les 1196 kilomètres en un peu plus de 71 heures. Le premier Tour de France est organisé quant à lui en 1903 ; avec un tracé qui ne manque pas de faire honneur à cette terre friande de bicyclette qu’est la Bretagne, en faisant de Nantes la dernière ville étape avant Paris.

En 1906, on estime le nombre d’adeptes de la bicyclette à plus de deux millions en France. Bon nombre de ces pratiquant·es adhèrent à ce que l’on appelle alors des “associations vélocipédiques”. Toujours active aujourd’hui, l’Union cycliste de Nantes se forme en 1909. Ses adhérent·es s’entraînent notamment au vélodrome de Longchamp. Mais c’est en 1924 que la cité nantaise se dote d’un tout nouvel équipement d’envergure dédié à la petite reine : le stade-vélodrome, appelé du “Petit-Breton” (en hommage au coureur Lucien Georges Mazan, dit Lucien Petit-Breton). Avec une piste de 500 mètres en béton armé, des cabines et des vestiaires pour les coureur·ses, une installation de hauts-parleurs, une tribune de 80 mètres pour le public, le vélodrome sert rapidement de modèle à d’autres équipements.

Vélodrome du Petit Breton à Nantes :

broken image

Dans l’entre-deux-guerres et après la libération, cette culture populaire et sportive de la pratique cyclable ne cesse de s’amplifier. Le perfectionnement toujours plus accru des vélos et la professionnalisation du secteur font entrer certaines grandes courses cyclistes dans le graal des compétitions d’envergure mondiale. La diffusion du Tour de France attire par exemple chaque année environ un milliard de personnes devant leur écran. Le Giro (le Tour d’Italie) ne cesse lui aussi, depuis plusieurs années, de battre des records d’audience.

Le renouveau à travers l’ultracyclisme

En raison de certains excès provoqués par cette médiatisation et la financiarisation de nombreuses courses à vélo, bon nombre de pratiquant·es ne se retrouvent plus dans les structures cyclistes traditionnelles. Ainsi, depuis une vingtaine d’années, de nouvelles courses d’ultracyclisme (ou d’ultra-distance, ultra-endurance) se créent, à contre-courant. Elles tentent de réinventer le genre, en dehors des canaux de masse habituels, avec l’objectif de faire primer les valeurs d’autonomie et de solidarité. Assez peu connues du grand public, elles attirent pourtant des communautés chaque année plus importantes.

La Transcontinentale [lien] est l’une de ses épreuves emblématiques. Créée en 2013, elle se veut une alternative européenne aux courses d’endurance américaines (telle que la Race across America [lien] ), avec une dimension populaire grâce à des frais d’inscription abordables. Oscillant autour des 4000 kilomètres sur les dernières éditions, la course est pratiquée en autonomie totale (ou autosuffisance) par 200 à 300 cyclistes. Les participant·es peuvent choisir les routes empruntées mais doivent passer par de nombreux points de contrôle définis en amont. La majorité dort très peu (trois à cinq heures de sommeil par nuit) et déploie dix-sept à vingt heures d’effort quotidien. Comme de nombreuses autres courses d’ultracyclisme, la Transcontinentale est une compétition, avec un classement par temps à l’arrivée (à l’inverse d’autres manifestations, comme les randonnées sportives en longue distance par exemple).

Fiona Kolbinger sur la Transcontinental (©angussung.co.uk-transcontinental.j) :

broken image

En 2019, l’édition se termine en Bretagne, en passant au nord de Nantes avec une ligne d’arrivée à Brest. Sur les 263 concurrent·es, 40 sont des femmes. Le 6 Aout, l’allemande Fiona Kolbinger l’emporte, au port brestois du Moulin Blanc. Elle marque ainsi l’histoire de l’ultracyclisme en devançant ses concurrents masculins, sur cette course mixte mythique. Même si l'environnement de ces compétitions reste dominé par les hommes, on assiste sur la plupart d’entre elles à la montée en puissance des femmes. Certaines affichent des performances remarquables, grâce à une capacité à gérer l’endurance et l’effort sur le temps long. Ainsi, la française Laurianne Plaçais est devenue célèbre en Juillet 2022 en remportant une épreuve du BikingMan Origine, avec treize heures d’avance [lien article de presse]. Sur 1 000 kilomètres, soixante-quatre heures de course, plus de 26 000 mètres de dénivelé, et à travers cinquante cols de haute-montagne, elle n’a dormi que deux fois trente-cinq minutes en tout et pour tout…

Être autonome n’est pas chose aisée dans de telles conditions. En plus de savoir gérer son itinéraire, les éventuelles réparations sur son vélo et tous les aléas inhérents à une course sur plusieurs milliers de kilomètres, il faut aussi appréhender un chronomètre qui ne s’arrête jamais. Toutefois, avec notamment l’arrivée des GPS et de leurs traces, de vélos plus légers et robustes, de sacs adaptés dits “prolongateurs”, de pneus tubeless, les concurrent·es ont à leur disposition de nouveaux outils qui rendent ces courses encore plus intenses.

La Pan Celtic Race, pour la première fois en Bretagne en 2023

Un voyage de découverte unique et authentique au cœur des nations celtiques” : telle est la démarche proposée par l’organisation de cette course en autonomie, dont la première édition s’est tenue en 2020 [lien]. La compétition veut mettre en valeur “l'histoire, la culture et le patrimoine des peuples celtes ainsi que leurs coutumes”, en proposant des parcours à travers des sites naturels particulièrement époustouflants et des territoires imprégnés d’histoire ancienne.

Edition 2022 en Irlande (© Friction Collective) :

broken image

La Pan Celtic a été conçue sur une stratégie de développement à cinq ans. Chaque édition s'appuie sur la précédente, emmenant les coureur·ses plus loin sur la voie du dépassement, toujours plus profondément dans la tradition celtique. Il n'y a pas deux itinéraires identiques et les lieux visités ainsi que la distance parcourue s’amplifient jusqu’au climax prévu en 2024, le Magnum Opus. Avec “un œil sur le non conventionnel et la découverte”, le but de la série Pan Celtic est de donner à chaque participant·e l'occasion d'entreprendre une aventure et un voyage exceptionnels, dans un sens à la fois physique et spirituel. Selon l’organisation, la série “donne l'opportunité d'échapper aux distractions de la vie moderne qui sont si intrinsèquement tissées dans le tissu de notre conscience”.

La quatrième édition met le cap en Juillet 2023 sur l'Europe continentale pour visiter la Bretagne [tracé]. La ligne de départ est fixée à Saint-Malo. L'itinéraire emmène ensuite les coureur·ses le long de ruelles pittoresques et de routes longeant la côte avant de tourner vers le sud. Reprenant des routes abandonnées et d'anciennes voies ferrées, qui ont été réaménagées en pistes cyclables longues et sinueuses, la première agglomération traversée dans les terres est Fougères, bien connue du Paris-Brest-Paris. Passant par Rennes, la course se poursuit ensuite vers Carnac, Quiberon, fait un détour vers Guerlédan puis rejoint la côte vers Douarnenez ; avant de longer le littoral par un itinéraire riche de traversées de viaducs, de promenades, de presqu'îles, de pistes dures à voie unique, de forêts, de lacs et bien plus encore jusqu’au Mont Saint Michel. Après une traversée en ferry de Ouistreham à Portsmouth, la course s’élance vers les South Downs, puis dans le bastion celtique du Pays de Galles. Ici, l'itinéraire suit l'ancienne digue du roi Offa, construite pour contenir les gallois des invasions, avant de parcourir le promontoire crayeux du Great Orme et de se terminer à Llandudno. Le parcours époustouflant propose une distance totale de 2 293 kilomètres, avec 22 223 mètres de dénivelé positif.

Les inscriptions pour cette nouvelle édition sont déjà toutes parties, avec une liste d’attente mise en place. A l’instar de la troisième édition, ayant traversé en 2022 les paysages à couper le souffle des comtés irlandais de la côte ouest [voir vidéo ci-dessous], la nouvelle édition promet de splendides découvertes. Cette valorisation des territoires armoricains affirme un peu plus encore la Bretagne comme une terre d’excellence, au croisement entre un cyclisme nouvelle génération et la consolidation de l’amitié interceltique.

Gageons que cette édition permette aux clubs, au tissu associatif et aux pratiquant·es dans nos cinq départements bretons de découvrir ou de mieux appréhender cette nouvelle forme de pratique sportive qu’est l’ultracyclisme. Certes basé sur la performance, ces courses véhiculent avant tout des valeurs de solidarité, de diversité et d’inclusion fortes. Elles favorisent l’autonomisation des personnes et offrent une réelle connexion avec les territoires traversés. Le vélo reste ainsi plus que jamais un vecteur d’émancipation, qui sied si bien à la Bretagne.

Aurélien Boulé Fournier