Gare de Dorasan : en attente de la réunification coréenne

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À moins de 650 mètres de la zone démilitarisée (qui sépare depuis 1953 les deux Corées) se dresse un immense bâtiment moderne de verre et d'acier. Son objectif est de faciliter les reprises des liaisons ferroviaires intercoréennes, considérées comme primordiales pour le développement de la péninsule et son éventuelle réunification.


L'assaut de la locomotive

Han Joon-Ki est né au Japon de parents coréens. Il était à Nagasaki quand la bombe atomique frappa la ville le 9 août 1945. Avec la destruction de la cité et la reddition du Japon, Han quitta l'archipel pour la Corée où, en février 1946, il rejoignit la Korean National Railroad en tant que conducteur de locomotive. Il eut alors la charge de conduire dans un pays en guerre, notamment sur la ligne Pyongyang-Séoul. En 1950, il assista impuissant à des scènes terribles où des Nord-Coréens - sachant que son train voyageait vers le sud - grimpèrent par dizaines au sommet du convoi pour tenter de fuir.

Sur une de ces liaisons, alors qu'il effectuait une manœuvre sur la ligne de démarcation, il fut stupéfait lorsque les troupes américaines encerclèrent puis ouvrirent le feu sur sa locomotive, la détruisant complètement afin qu'elle ne tombe pas entre les mains de la Corée du Nord.
Symbole tragique de l'histoire de la division de la Corée, sa carcasse percée de 1 020 impacts de balle est aujourd'hui un lieu important de visite et de commémoration pour de nombreuses familles coréennes toujours séparées.

Locomotive dans le Imjingak Park, DMZ (© Aurélien Boulé Fournier) :

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La gare sans liaison régulière

C'est à quelques mètres de ce mémorial, à la lisière de la zone démilitarisée scindant la Corée sur 250 kilomètres en l'absence de tout traité de paix, qu'a été restaurée et rouverte en avril 2002 la gare de Dorasan. Dans cette zone portant très mal son nom (c'est au contraire un des territoires les plus militarisés et contrôlés au monde, où alternent barrages filtrants, tunnels d'infiltration, barbelés, postes d'observation, batteries de canons), la présence de cette élégante construction fluette et élancée détonne et surprend. Inaugurée en 2003 par les présidents sud-coréen et américain, Kim Dae-Jung et George W. Bush, et financée notamment par de riches donateurs, elle n'accueille aucune liaison régulière.

Plateforme d'observation contrôlée par l'armée du sud, vers la Corée du Nord (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Seuls deux trains, contrôlés par l'armée et à vocation strictement touristique, l'atteignent chaque jour depuis Séoul. Et aucun train n'y accède depuis la Corée du Nord. Ainsi, son immense hall reste quasiment vide, plongeant dans un silence léthargique les nombreuses photographies fièrement exposées des récentes rencontres organisées à quelques centaines de mètres de là, à Panmunjom, entre le président sud-coréen Moon Jae-in et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un.

Seuls quelques rares touristes foulent le hall de la gare (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Affiche dans le hall de la gare (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Une coopération entre les deux États coréens

L'objectif de la rénovation de la gare a (dès les prémisses) été largement symbolique, caressant l'espoir de favoriser un éventuel rapprochement au cœur d'une péninsule ayant depuis longtemps accordé une place importante au transport ferroviaire. En effet, la Corée du Sud est un des pays pionniers en Asie du transport ferroviaire à grande vitesse et la Corée du Nord, malgré la vétusté de son réseau, comptabilise toujours plus de 5 000 kilomètres en exploitation. Mais au-delà des intentions, par le passage de trains de fret qu'elle rendit possible, la réouverture de la gare favorisa concrètement à partir de 2007 le développement de la zone industrielle de Kaesong, située en Corée du Nord.

Exploité sur un schéma de développement économique collaboratif entre les deux États coréens, le parc permettait aux entreprises sud-coréennes d'employer une main-d'œuvre bon marché tout en fournissant à la Corée du Nord une source importante de devises étrangères. Cependant, après un regain de tensions, la zone industrielle ferma ses portes en février 2016, obstruant à nouveau toute perspective de débouché ferroviaire vers le nord.

Bureau d'information d'un transit inter-coréen inexistant (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Un réseau ferroviaire « transeurasien »

Aujourd'hui (ndlr. 2018), alors que le dialogue intercoréen entre dans une nouvelle étape incarnée par une période de détente inédite, Dorasan reste plus que jamais au cœur des enjeux à la fois symboliques, logistiques et économiques.
Le serpent de mer que constitue depuis ces quais vides le lancement d'un nébuleux projet de réseau ferroviaire « transeurasien » continue de concentrer à la fois les espoirs et les contradictions de deux pays frères, toujours officiellement en guerre. L'un et l'autre prônent le développement de ce projet censé relier via deux routes principales Séoul et Pyongyang à la Chine et à l'Europe. Une carte géante de cet incertain réseau trône ainsi sous le plafond de l'imposant bâtiment, mentionnant d'ailleurs Nantes comme une des
extrémités occidentales d'une nouvelle ligne transsibérienne.

Projet de réseau transeurasien, affiché dans la gare (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Dans cette optique, la Corée du Sud est devenue en juin 2018 membre à part entière de l'Organisation de coopération des chemins de fer transeurasiens, soutenue par le ministre nord-coréen des chemins de fer, Jang Hyok. Mais, pour l'heure, cette adhésion est symbolique puisque de nouvelles voies devront au préalable être posées à travers la Corée du Nord si des trains sud-coréens doivent y circuler. Peut-être ainsi, dans un avenir pas si lointain, des trains quitteront la Bretagne à destination d'une Corée qui, comme elle, sera à nouveau réunifiée…

 

Aurélien Boulé Fournier