Héritières des ancestraux théâtres municipaux, les institutions d'art lyrique gardent une place prépondérante dans le paysage culturel. Elles témoignent d'un temps (pas complètement révolu) où l'État ne s'intéressait guère au développement de l'opéra en dehors de la capitale française.
Ce sont les villes qui ont pris leurs responsabilités en finançant largement ces maisons et en les dotant des moyens nécessaires. Toutefois, la nécessité de soutenir plus équitablement l'art lyrique pointe désormais dans les débats.
Les muses du théâtre Graslin (© Strikingly) :
" Des institutions dépensières ", " un public âgé et en vase clos ", " des billets chers, " des budgets trop lourds " ... : les a priori ne manquent pas quand on évoque l'opéra. Or, comme le rappellent Les Forces
musicales (syndicat professionnel) dans une synthèse parue en 2017, les opéras figurent parmi les structures culturelles les plus dynamiques et attractives.
Pour 1 € de subvention locale, l'opéra injecte 1,33 € au sein du tissu économique local. Un demi-million de jeunes de moins de 30 ans sont accueillis. Un spectateur sur trois a moins de 46 ans. Quant à l'idée que les publics seraient des habitants des centres-villes, elle est erronée : 44 % des spectateurs n'habitent pas dans l'agglomération de l'opéra.
Enfin, avec un prixmoyen du billet à 25,20 € (et souvent 15 € pour les moins de 30 ans), les opéras et festivals lyriques sont moins chers que de nombreux autres loisirs populaires (37 € en moyenne pour un billet de Ligue 1).
A l'initiative de la ministre de la Culture, la directrice de l'opéra de Lille, Caroline Sonrier, s'est vu confier une mission nationale sur l'état des arts lyriques en France. Présenté le 5 octobre, son rapport met en relief les
profonds déséquilibres que connait le secteur.
80% des crédits pour Paris
En raison d'une lente érosion des subventions (8 %) et d'une fragilité du modèle économique, le rôle de l'État dans le financement des maisons d'opéra est aujourd'hui critiqué. Avec 30 établissements en France, dont quatre à Paris, le rapport souligne que 80 % des crédits que l'État consacre à l'art lyrique vont aux
maisons parisiennes. Ce qui induit une répartition particulièrement inégale, même si l'on ramène ces chiffres proportionnellement à la population. En dehors de la capitale, faute de soutien suffisant de l'État, les collectivités territoriales demeurent les principaux financeurs.
Sur ces 26 structures hors Paris, seulement cinq sont labellisées « Opéra national ». C'est très faible au regard du nombre de « Scènes nationales » pour le théâtre ou des « Centres chorégraphiques " pour la danse.
Depuis sa créationen 1959, il aura fallu plusieurs décennies avant que le ministère de la Culture ne s'intéresse réellement au sort de l'opéra ailleurs qu'à Paris. Ainsi, le rapport interroge la cohérence nationale du réseau et l'absence d'opéra national en région dans la moitié nord-ouest du pays, alors que deux maisons ont été labellisées dans l'Est.
L'opéra de Rennes (© Strikingly) :
Présence en Bretagne
Avec deux institutions établies à Nantes et à Rennes, l'opéra tient une place importante dans le paysage culturel breton, et ce, depuis des siècles. Inauguré en 1788 (près de quatre-vingts ans avant le palais Garnier à Paris), et arborant à la fois hermines et fleurs de lys, le théâtre Graslin est l'une des plus vieilles
scènes de France. Construit au cœur de la cite, face à l'hôtel de ville, l'opéra de Rennes est également une salle à l'italienne réputée.
Associé depuis 2003 à Angers, l'opéra de Nantes possède un budget de 10,40 ME, dont 1,17 de subvention de l'État (11,25 %), soit à peu près le niveau moyen en 2019 pour les théâtres lyriques d'intérêt national, sans en avoir la labellisation ! L'opéra de Rennes possède quant à lui un budget de 4,30 M€, dont seulement 0,12 de subvention de l'État, soit un ratio extrêmement bas de 2,86 %.
De taille comparable à Nantes, la Ville de Nice flèche 21,75 M€ vers son opéra (sans aucune participation de l'État), soit deux fois plus. Pour pallier les faiblesses structurelles de ces financements, les maisons de Rennes et de Nantes ont amorcé depuis quelques saisons un rapprochement, visant notamment à mutualiser certains spectacles et à partager les dépenses associées. Un temps évoquée, la fusion ne semble plus être à l'ordre du jour.
Rééquilibrer les financements
En clôture de son rapport, la directrice de l'opéra de Lille met en avant plusieurs préconisations qui détonnent. La labellisation serait notamment à revoir, en remplaçant les trois labels et appellations existants en région par un label unique [...] afin de donner plus de cohérence et de lisibilité à l'action de l'État et favoriser la dynamique de réseau ». Est également soulignée la nécessité de « rééquilibrer sur le plan géographique les financements de l'État, principalement concentrés sur Paris et les parties Est et Sud du pays ».
Aurélien Boulé Fournier
(*Membre titulaire du conseil syndical d'Angers Nantes Opéra)