Kenya : la décentralisation garante de la démocratie

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Avec une population de 42 millions d’habitants et le quatrième PIB d’Afrique noire (88 milliards de dollars), le Kenya possède également l’indice de développement humain (IDH) le plus élevé d’Afrique centrale et orientale. Malgré les troubles qui le secouent encore épisodiquement, ce pays se transforme en profondeur et connaît un renouveau à la fois économique et démocratique.

Nairobi qui émerge au-dessus de la savane (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Un capitale en mouvement

Pour qui arrive à Nairobi dans l’un de ces innombrables bus long-courriers bon marché qui sillonnent le continent, la découverte de cette effervescente capitale (ne ressemblant en rien à ses homologues voisines) peut être terriblement déconcertante. Jaillissant dans une forêt de gratte-ciels au milieu de la savane assoupie, elle détone par sa modernité, la qualité de ses infrastructures, ses nombreux parcs urbains, l’ordonnancement de ses grandes avenues arborées, ses multiples bars et restaurants à la mode.

Quartier des bars et restaurants à Nairobi (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Depuis plus d’une décennie, Nairobi connaît un véritable boom qui se traduit par la montée en puissance de grands projets d’aménagement : démolitions partielles de bidonvilles et création de logements sociaux, réflexions sur un réseau de trois lignes de métro, investissements dans le réseau ferré urbain et national, canalisation des flux automobiles, construction de la plus haute tour d’Afrique (Pinnacle Tower, 314 mètres)… Mais ce foisonnement de projets n’est pas uniquement concentré dans la capitale : c’est le pays tout entier qui est également traversé par de profonds bouleversements.

Le centre-ville de Nairobi en chantier vu depuis le sommet du KICC (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Le quartier universitaire (© Aurélien Boulé Fournier) :

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La marginalisation de certains peuples

Le Kenya, comme de nombreux autres États africains, a malheureusement connu les atrocités de l’époque coloniale ; mais aussi la répression du premier président (Jomo Kenyatta), les crimes du dictateur Daniel Arap Moi ou encore les massacres des années 1990 dans le Rift. Les dernières violences de 2007-2008 ont vu s’affronter différentes tribus, ce qui a poussé certains journalistes à décrire ces troubles comme une énième guerre interethnique africaine.

Or, pour beaucoup de Kenyans, comme la grande auteure Yvonne Adhiambo Owuor, il s’agissait avant tout d’une révolte nourrie par le sentiment de marginalisation économique vécue par certains peuples : « Les Luo ont été […] les premiers à réclamer la liberté et à critiquer cet État centralisé, cette nouvelle élite corrompue et rapace qui pillait les ressources du pays (1) ».

Exposition sur l'esclavage et le colonialisme au Musée National du Kenya (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Suite à ces affrontements, et face aux risques de délitement du pays, le processus de révision de la constitution entamé quelques années auparavant s’est profondément accéléré. Le nouveau texte fut présenté le 4 août 2010 à la population par référendum. Échaudée par l’autoritarisme du pouvoir central et encore agitée par une profonde contestation, la société kenyane l’approuve alors à 67 % des votants.

Foule à l'heure de la débauche dans le centre-ville de Nairobi (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Une nouvelle constitution

Aujourd’hui, cette nouvelle constitution reste profondément ancrée dans le débat public et est perçue par beaucoup comme la garante du renouveau démocratique kenyan. Certains spécialistes la décrivent même comme la meilleure ou la plus progressiste du continent. Mais que contient-elle, au juste ?

Alors que le Kenya était depuis son indépendance en 1963 une république centralisée régie par un nationalisme autoritaire historiquement insufflé par le parti KANU (Kenya African National Union) de Jomo Kenyatta, cette constitution a au contraire gravé dans le marbre de nombreuses libertés publiques et insufflé un large processus de décentralisation.

Gare routière dans la région de Kisumu, nord-ouest du pays (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Saluée par de nombreux partenaires tels que la Banque mondiale comme l’un des mouvements de décentralisation des institutions politiques « les plus rapides et les plus ambitieux au monde », elle a profondément renforcé l’un des cinq niveaux des circonscriptions administratives : les Local government authorities (que l’on pourrait traduire par « comtés »), eux-mêmes constitués de quatre sous-modèles (county councils, municipal councils, town councils et celui appliqué à la capitale, le city council).

45% de la population du Kenya vit encore sous le seuil de pauvreté (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Désormais, l’élection présidentielle perd en intérêt, car le rééquilibrage des forces politiques a donné aux collectivités territoriales des marges de manœuvre conséquentes en termes de gouvernance, mais aussi de développement économique, d’aménagement du territoire, de gestion des services publics… En garantissant une démocratie locale, cette nouvelle constitution a également permis une véritable reconnaissance de certains peuples autrefois laissés à la marge.

Le quartier des institutions politiques dans le centre-ville de Nairobi (© Aurélien Boulé Fournier) :

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Un nouveau modèle démocratique

Aujourd’hui, l’émergence de ces 47 comtés dotés d’un budget propre et dirigés par des gouverneurs et des assemblés élues au suffrage universel direct constitue une réelle révolution pour cet État autrefois hypercentralisé. Sur le papier, aucun groupe ethnique n’est désormais plus laissé de côté et chaque région représente un maillon à part entière de la nation kenyane.

Même si certains problèmes se posent encore, notamment au sujet du transfert de certaines compétences et de la fiscalité locale, dans une région déstabilisée par l’islamisme (la Somalie), la sécession (le Soudan) ou encore l’extrême pauvreté (l’Ouganda), le Kenya fait figure d’exception et propose à tout un continent un nouveau modèle démocratique et social aussi unique que prometteur.

1. « Entretien : Yvonne Adhiambo Owuor », Kenya. Les Séismes du Rift, Nevicata, 2018.

 

Aurélien Boulé Fournier